La pratique de Carlota Sandoval Lizarralde est interstitielle. L’artiste navigue entre l’assemblage d’objets collectés, le dessin au pastel gras et la performance pour tenter de narrer l’indicible expérience de la migration. Partant toujours du plus intime pour énoncer un discours situé, celui d’une femme colombienne installée en France par choix, son travail traduit un état perpétuellement transitoire : les motifs s’entremêlent, les langues se parasitent, les souvenirs d’adolescence s’immiscent dans les récits collectifs. L’artiste produit donc à partir de ce qui lui est manquant : le sentiment d’absence de ses proches, le manque de considération à l’égard des étranger·ères en Occident, l’anéantissement des populations autochtones par les puissances coloniales. Ainsi, des formes contrariées, déchirées, éclatées, chaotiques font écho à l’hybridité de ses identités. De ces vides, elle conçoit aussi des environnements saturés, notamment des paysages foisonnants aux couleurs vives, se réappropriant au passage les représentations idylliques du « nouveau monde » (Constelaciones, 2023). Le kitsch enfantin de ses productions, directement héritier de l’esthétique bariolée des années 2000, semble être, par les réminiscences d’une joyeuse enfance, une voie vers la résilience.

Résolument diasporiques et féministes, les œuvres de Carlota Sandoval Lizarralde sont pensées comme des espaces refuges. Ce passage d’un milieu hostile à une zone protégée, d’un espace public à domestique, est particulièrement palpable dans son intérêt pour les seuils. Il y a une porte qui semble léviter décorée d’idoles et de chapelets (La non-place, 2023). Il y a une poutre à franchir à laquelle est suspendue une multitude d’objets patiemment trouvés ou rapportés par son entourage de Colombie aux fonctions protectrices (Ofrendas, 2023). Par le biais du syncrétisme entre les traditions catholiques latino-américaines, les spiritualités ancestrales et de son imaginaire, l’artiste propose des dialogues transgénérationnels pour penser des guérisons partagées.

Virginia Quadjovie, 2023.

“Para sobrevivir en las Borderlands, debes vivir sin fronteras, ser cruce de caminos.”

— Gloria Anzaldúa.